Emmanuelle Gaume, réalisatrice et animatrice : elle nous parle de son combat de la parité au coeur du cinéma et de la musique
- Dandeu Mathilde
- il y a 4 jours
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Par son professionnalisme et sa prestance, Emmanuelle Gaume est devenue l’une des plus grandes animatrices du monde de la télévision. Mais son amour pour la musique et le cinéma va vite la rattraper. L’animatrice écrit et réalise un film sur Alice Guy, première femme cinéaste. Une femme qui l’a inspirée dans ce métier un peu trop masculin. Jury pour le prix de la Meilleure création sonore au Festival de Cannes 2025, PressEyes a eu l’honneur de pouvoir converser avec Emmanuelle Gaume et revenir sur son parcours.
Emmanuelle Gaume est devenue l’une des figures phares de la télévision un peu par défaut… Plus jeune, elle rêvait d’être derrière la caméra, mais n’ayant aucun modèle féminin à la réalisation si ce n’est la grande Varda, elle débute sa carrière comme toutes ses compères : devant la caméra en tant qu’animatrice. Mais peu à peu, les femmes ont commencé à prendre la parole et à s’imposer (timidement) à la réalisation. Ainsi, Emmanuelle Gaume peut désormais vivre de son rêve et fait partie de celles qui n’ont pas eu peur de se lancer dans la réalisation.
Fervente défenseuse de la place de la femme au cœur de l’industrie du cinéma, c’est naturellement que son premier film porte sur Alice Guy, première femme cinéaste. Une manière pour elle de rendre hommage à toutes les femmes du 7e art.
Aujourd’hui, Emmanuelle Gaume se bat pour qu’au sein de l’industrie du cinéma et de la musique, les femmes puissent se faire une place dans ces mondes guidés par les hommes. Ainsi, elle crée en 2024 l’EICMI (Émile Internationale de Composition de Musique), au cœur de laquelle elle prône une mixité avec 50 % d’élèves filles et 50 % d’élèves garçons.
Une femme d’une bienveillance infinie qui œuvre pour que les petites filles puissent enfin avoir le droit d’avoir des modèles féminins, leur laissant la liberté de pouvoir rêver de devenir un jour des cheffes d’orchestre ou des compositrices. Rencontre.
Emmanuelle Gaume : "Même avant de savoir parler, j’écoutais beaucoup de musique"
D’où vient cette passion pour le cinéma et la musique ?
Emmanuelle Gaume : C’est une passion très ancienne. À 12 ans, j’ai eu un grand choc de musique et d’images avec l’adaptation de l’œuvre de Jean Cocteau, Les Enfants Terribles, réalisée par Jean-Pierre Melville. Il y a comme une explosion dans ma tête : musique/image, image/musique… les deux deviennent indécollables à partir du moment où je découvre ce film.
Je me souviens que je ne subis pas le film, le son ; je veux en apprendre plus sur le cinéma, la musique, et je veux savoir qui sont tous ces gens.
Au-delà de cette histoire poignante, émouvante, tragique de ces adolescents frère et sœur, ce film a rassemblé que des génies : Jean Cocteau, Melville, qui allait devenir l’un des plus grands réalisateurs français, et Jean-Sébastien Bach, à travers ses concertos pour deux claviers.
Vous me dites que la musique et le cinéma sont indécollables. En quoi, pour vous, ces deux univers sont finalement indissociables ?
Emmanuelle Gaume : D’un point de vue historique, ils sont indissociables. J’ai écrit un livre sur Alice Guy, première femme cinéaste de l’histoire du cinéma. Pour être la plus juste dans mes propos, j’ai fait de nombreuses recherches autour de l’histoire du cinéma et de sa naissance. Les premières images au cinéma étaient toutes accompagnées de musique. Puis, à l’époque, on n’est pas capable de graver de suite le son. Pour accompagner ces images, on est donc obligé de jouer en live la musique.
Quand Gaumont a créé le premier grand cinéma place Clichy à Paris, début du 20ᵉ siècle, il crée en même temps une immense fosse d’orchestre. Un orchestre qui va jouer sur les films muets.Depuis le début, il y a un lien très fort entre la musique et le cinéma.
Vous réalisez un documentaire sur Alice Guy, première femme cinéaste. Quelle place avez-vous donné à la musique dans ce film ?
Emmanuelle Gaume : Je l’ai travaillée un peu comme à l’époque. J’aurais pu prendre le parti de faire travailler un compositeur spécialement sur le film. Mais comme le film racontait à la fois l’existence d’Alice et à la fois l’existence de sa création : ses premiers films jusqu’à la fin de sa carrière, j’ai décidé de faire comme à l’époque, c’est-à -dire de travailler sur des musiques existantes.
J’ai été dans le répertoire classique et j’ai été choisir des morceaux de musique classique qu’elle aurait pu elle-même choisir pour accompagner ses films. Je me suis comme associée à elle dans cette aventure (rire).
Vous avez été danseuse, une discipline où la musique est également indispensable, et d’autres projets comme France Musique. Est-ce que l’on peut dire que la musique fait partie intégrante de votre vie ?
Emmanuelle Gaume : La musique est une langue que je ne maîtrise pas du tout : je ne lis pas et je n’écris pas la musique, mais c’est une langue qui m’habite, qui est à l’intérieur de moi depuis que je suis toute petite.
Même avant de savoir parler, j’écoutais beaucoup de musique. Ma mère avait mis dans nos chambres des magnétophones à cassettes et j’écoutais les concertos pour mandoline de Vivaldi. C’était une source d’inspiration pour faire voyager mon imaginaire, qui était dingue. C’était comme une bande-son de plein de films que je me faisais dans ma tête.
On en revient encore au cinéma et ce lien à la musique…
Emmanuelle Gaume : C’est vrai (rire). Aujourd’hui encore, la musique m’accompagne dans mes petits films que je me fais. Je vais vous raconter une histoire qui va vous amuser : quand j’ai eu ma fille, j’inventais des petites mélodies pour elle ; ce n’étaient pas des chansons, mais des petites musiques que je lui chantonnais. Éric Tanguy, qui est un grand compositeur avec qui je vivais à l’époque, a transcrit ces mélodies. C’est super mignon, puisque maintenant elles existent.
Ma fille a 23 ans aujourd’hui et quand on se voit, parfois on fredonne ensemble ces mélodies de quand elle était bébé et je trouve ça dingue. C’est la BO de notre complicité, de notre vie.
La musique, sans parler des interprètes, est un monde comme beaucoup finalement d’hommes… Il y a peu de visibilité sur les femmes musiciennes, à quelques exceptions comme la chanteuse Jenifer, qui a choisi de ne prendre que des femmes pour l’accompagner sur scène, ou encore Vianney, qui est accompagné par sa compagne au violon… Mais ce sont des cas très rares, de même que l’on ne voit pas de femmes cheffes d’orchestre. Quel est le combat à mener pour leur ouvrir enfin la voie et la voix ?
Emmanuelle Gaume : Il y a actuellement, en moyenne, une femme sur dix qui compose de la musique à l’image. C’est pire dans la musique à l’image dans le jeu vidéo, où elles sont quasiment inexistantes.
J’ai créé une école et le seul et unique moyen de faire casser ce plafond de verre insupportable, c’est de recruter à 50/50. À l’EICMI, je vais recruter mes élèves à 50/50 : je veux moitié des effectifs filles et moitié des effectifs garçons.
Vous êtes la solution qui va enfin permettre à beaucoup de jeunes filles de pouvoir enfin s’identifier à des musiciennes, compositrices…
Emmanuelle Gaume : Pendant mes 35 premières années dans l’audiovisuel, en tant qu’animatrice à la télévision, je n’ai jamais vu de femmes réalisatrices, derrière la caméra.
Moi qui rêvais de faire ce métier-là , je n’avais aucun moyen de me projeter. Même au cinéma, il y avait une Varda dans la masse d’hommes. Il y a un moment : où est-ce que l’on peut se projeter dans ces mondes qui sont complètement envahis par l’image masculine ? On se projette là où les femmes, elles, sont… et à la télévision, elles sont devant la caméra.
Je me suis donc retrouvée devant, alors que mon rêve depuis toujours, c’était d’être derrière. Mais quand j’ai commencé la télévision dans les années 1990, c’était impossible. On a un peu évolué, mais encore trop peu…
Je crois que la pédagogie et l’éducation sont la base de tout. Si on n’a pas d’autre choix que d’imposer la parité, il faut le faire.
Quelle serait votre définition de la musique aujourd’hui ?
Emmanuelle Gaume : Je dirais que la musique est un langage universel. Elle permet aux êtres humains de communiquer en étant libérés de toutes autres formes de langages. C’est une des rares choses qui existent au monde, qui nous offre cette possibilité d’être ensemble, sans avoir besoin de traducteur pour communiquer. Cette universalité de la musique me fascine : de pouvoir vivre des émotions ensemble, sans avoir besoin de parler la même langue. Je trouve ça incroyable et beau.