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Leanna Chea : l’actrice qui ne renonce jamais


Leanna Chea dans la cuisine des Nguyen
Crédit Photo : Antoine Maokampio

Danseuse de hip-hop, Leanna Chea a dû voir ses rêves s’envoler lorsqu’une blessure aux genoux l’a empêchée de danser. D’un caractère combatif, elle n’est pas du genre à baisser les bras. Si elle ne peut plus raconter d’histoires en s’exprimant uniquement par son corps, elle décide alors de devenir comédienne. Rencontre.



Ne plus pouvoir pratiquer son art est l’une des choses les plus terribles qui puisse arriver à un artiste. Après des années passées à fouler la scène lors de représentations de hip-hop, Leanna Chea doit se rendre à l’évidence : elle ne peut plus danser. Ses genoux ont décidé d’un nouvel avenir pour elle. Mais la danseuse n’est pas du genre à s’apitoyer sur son sort.

Si Leanna Chea ne peut plus faire vibrer son public par les mouvements de son corps accompagnés d’une musique entraînante, ce n’est pas grave : elle le fera par le biais du cinéma. Une nouvelle passion qui lui offre même la possibilité de danser à nouveau pour certains rôles, comme dans son dernier film Dans la famille des Nguyen, où elle interprète une diva.


Vivre différentes vies


Être comédienne offre à Leanna la possibilité de vivre d’autres vies et d’échapper à la routine quotidienne :


Je suis un peu anxieuse face à la routine, et j’ai l’impression, grâce au cinéma, de pouvoir faire plein de choses.

Leanna Chea aime ce sentiment de pouvoir "prêter son corps à un personnage", défendre des histoires, en raconter, mais aussi "s’amuser et être dans le moment présent". Voilà comment elle décrit le métier d’actrice, qui n’est pourtant pas toujours évident, surtout lorsqu’on est une femme, et encore plus lorsqu’on a des origines cambodgiennes et vietnamiennes.


Une douce évolution


Des rôles stéréotypés de masseuses, elle en a reçus. Beaucoup trop, dans une société où l’on tente pourtant de faire évoluer les mentalités. Leanna Chea aurait pu les accepter pour multiplier les projets, mais elle n'a pas flanché : "J’ai envie de rester intègre dans ce que je veux faire, et je sens que ça évolue énormément, car nous sommes nombreux à nous battre sur ce sujet. Je pense qu’il y a eu beaucoup de refus sur certains rôles, et ça commence à changer dans l’écriture. Il y a de plus en plus de réalisateurs et réalisatrices d’origines asiatiques qui écrivent des histoires et des rôles autrement."


Toutefois, fière de ses racines et consciente de leur place dans le cinéma, elle a tout de même incarné l’un de ces rôles stéréotypés. Mais celui-ci avait une portée importante, permettant de dénoncer les pièges dans lesquels peuvent tomber les personnes asiatiques ou toutes autres personnes étrangères en arrivant en Europe :"J’interprétais le rôle d’une Vietnamienne débarquant du Vietnam, à qui l’on avait promis un mariage pour qu’elle puisse construire sa vie. C’est une histoire vraie, qui s’est déroulée en France. Finalement, elle s’est retrouvée à faire des ménages. Ce genre de rôle a du sens pour moi."



Les rôles passent souvent par des annonces de casting, qui précisent presque toujours un genre, une nationalité, un aspect physique, des origines… Une habitude qui agace Leanna, qui n’aime pas le mot "diversité" : "Ça ne devrait pas être un critère, et pourtant j’ai l’impression que, pour que ça change, il faut que ça le devienne. J’en parlais il y a quatre ans : aux États-Unis, il y a ce système de quotas. En général, on n’aime pas ça, mais ça obligeait les productions à embaucher des profils divers. Pourtant, on devrait tous être définis en tant que personnes, et non pas en tant que femmes, rondes, ou de telle origine."


Une évolution des mentalités


Les États-Unis ont contribué à faire évoluer les mentalités, comme le souligne la comédienne en citant quelques œuvres marquantes :


Il ne faut pas se le cacher, avec 'Crazy Rich Asians' et 'Everything Everywhere All at Once', on commence à se dire que les Français d’origine asiatique peuvent être imaginés dans d’autres rôles que des rôles stéréotypés.

Un changement encore timide, mais qui permet à Leanna Chea d’incarner de beaux personnages, comme son dernier rôle dans "Dans la cuisine des Nguyen".


Dans la cuisine des Nguyen : de quoi ça parle ?


"Dans la cuisine des Nguyen" raconte l’histoire d’Yvonne Nguyen, une jeune femme qui rêve de comédie musicale. Pour atteindre son objectif, elle décide de revenir vivre chez sa mère. Son parcours mêle quête identitaire et poursuite de son rêve. C’est alors qu’elle se lie d’amitié avec Fu Fen, le personnage incarné par Leanna.


Fu Fen est l’antagoniste de l’histoire : elle n’a aucune limite et ne renonce à aucun de ses rêves. "Souvent, dans la vie, nos peurs et notre manque de confiance en nous nous empêchent d’avancer. On a tendance à attribuer nos blocages à des facteurs extérieurs, et c’est exactement le problème d’Yvonne. Fu Fen lui renvoie cette réalité en pleine face : elle a moins de talent qu’Yvonne, mais elle réussit parce qu’elle travaille dur, elle a la niaque et ne se met pas ces barrières psychologiques."


Fu Fen est une femme libre, indépendante et combattante, des traits de caractère qui rappellent fortement ceux de la comédienne.


Leanna Chea poursuit son chemin


Comme son personnage, Leanna a cru en ses rêves d’artiste malgré les épreuves imposées par la vie et son propre corps, qui l’ont contrainte à renoncer à son avenir de danseuse. Mais artiste dans l’âme, elle a su rebondir et brille désormais à l’écran."Rien n’arrête Fu Fen, et moi aussi, j’essaie toujours de rebondir avec d’autres projets. Dans ce film, je suis amenée à danser et, depuis, j’ai réussi à trouver un moyen de ne plus avoir mal aux genoux. Comme je ne danse plus autant qu’avant, la douleur s’est atténuée."


Ce film fait également écho à l’histoire de ses parents, notamment à travers le personnage de la mère d’Yvonne, peu enthousiaste à l’idée que sa fille veuille devenir une star de comédie musicale. La culture vietnamienne assez strict, elle laisse peut de place à la fantaisie : "Je pense que c’est un sujet universel, en tout cas chez les Vietnamiens. C’est peut-être pour ça qu’il y a si peu d’artistes franco-vietnamiens. Ma mère, par exemple, m’a toujours dit : 'Trouve un vrai job' Tous les quatre matins, elle me demandait : "Tu es sûre que tu ne veux pas faire ci, ou ça ?" Elle m’a listé tous les métiers possibles et imaginables. Mais je lui ai répondu : 'Non, maman, c’est ça que je veux.' Et j’ai foncé."


Si le dicton veut que l’on écoute toujours sa maman, il est parfois préférable d’être un peu têtu et de suivre son cœur. Aujourd’hui, on est certain que la mère de Leanna est fière de la femme et de l’actrice qu’est devenue sa fille… qui rêve non seulement de décrocher un César ou un Oscar, mais aussi de "la paix dans le monde" : "Comment ? Je ne sais pas. Et je ne sais pas si, un jour, je pourrai réaliser un film qui puisse y contribuer, même un tout petit peu. Mais j’aimerais le faire."


Leanna fait partie de ces femmes à la fois bienveillantes et douces, tout en étant une véritable guerrière, prouvant qu’il est toujours possible de se relever. Et si, pour l’instant, elle n’a pas encore réussi à sauver le monde, une chose est sûre : elle sauvera une partie de son public de certains maux, grâce à ses mots.

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