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Fred Musa : « Je me bats pour la santé mentale de la jeunesse »

  • Photo du rédacteur: Dandeu Mathilde
    Dandeu Mathilde
  • il y a 2 jours
  • 8 min de lecture
Fred Musa

On ne présente plus Fred Musa, animateur phare de l’émission Planète Rap sur Skyrock. Après plus de trente ans à l’antenne, celui qui décrypte chaque jour le monde des rappeurs revient avec une toute nouvelle émission : Planète Rap, la quotidienne sur France 4. Rencontre.



La musique est un peu comme la mode, avec des tendances qui passent et reviennent, comme le retour en force des groupes à la 2Be3 avec la montée en flèche de la K-Pop. Ces derniers temps, c’est le rap qui a le vent en poupe. En effet, d’après une étude récente de l’ADAMI, le rap serait le style musical le plus écouté en France : 65 % des écoutes totales sur les plateformes de streaming seraient du rap. Et si les artistes y sont pour beaucoup, grâce à la proximité qu’ils aiment conserver avec leurs fans par le biais d’un langage courant voire familier, d’autres personnes de l’industrie peuvent également jouer un rôle crucial dans l’appréciation du rap.


En France, on pense directement à Fred Musa, qui, à l’antenne de Planète Rap depuis plus de 30 ans sur Skyrock, connaît cet univers musical mieux que personne. Parler rap avec lui, c’est déclencher une dose de dopamine : Fred Musa pourrait en parler des heures, voire des jours… si ce n’est chaque jour finalement grâce à son émission et à sa dernière nouveauté : Planète Rap, la quotidienne, pour immerger son public au cœur des coulisses, mais aussi dans des interviews exclusives permettant d’en apprendre plus sur nos artistes préférés.


Fred Musa va encore plus loin et ne se limite pas à parler de rap avec pour seule ardeur sa passion. Il se veut éducatif, mais surtout souhaite utiliser cette force qu’est le rap, grâce à des paroles percutantes et à des rappeurs qui se livrent sur leur vie parfois difficile, pour aller à la rencontre des jeunes et se battre contre les problèmes liés à la santé mentale. Il n’hésite pas à mettre en lumière des talents comme Thomas Goldberg, qui aujourd’hui a décidé de se livrer au micro de l’animateur sur ses années d’enfermement et d’enfer…

Pour PressEyes, celui qui vit rap jour et nuit est venu se confier sur cet univers qui l’anime au quotidien et qui, grâce à ses émissions et ses combats, offre à notre nouvelle jeunesse l’opportunité de se sentir écoutée et comprise.


"Pour moi, l’avenir est au rap féminin"


30 ans que vous êtes à la tête de l’émission Planète Rap sur Skyrock. Quelles sont les plus grandes évolutions que vous avez pu remarquer au cœur de cette industrie ?


Fred Musa : Plusieurs évolutions : technologiques, car je suis arrivé à l’ère des cassettes, même si à l’antenne on diffusait des CD, mais les vinyles étaient écartés à l’époque. Puis il y a eu la révolution du streaming, bien que compliquée avec des sites illégaux où l’on trouvait des albums.


Sur le rap, il n’a pas arrêté d’évoluer, même encore aujourd’hui où l’on est avec une génération qui est « un peu plus professionnelle », parce qu’ils peuvent faire des stades. Avant, ils avaient du mal à ce qu’on leur ouvre les portes des salles de concert. Il y a eu tout un tas de révolutions, qu’elles soient liées à la technique, à la technologie ou aux artistes.


Comme les humoristes, qui se restreignent aujourd’hui de rire de tout, est-ce que le rap se limite aussi à être moins vulgaire, moins violent, moins dénonciateur ?


Fred Musa : Le rap est toujours très proche de ce qui se passe dans la société. Il y a une époque que l’on appelle l’âge d’or du rap français, avec des textes plus liés à la politique, mais c’est aussi lié à un côté générationnel.


La politique, notamment pour les gens des quartiers, ne s’est jamais vraiment intéressée à

eux, ou s’y intéresse juste au moment des élections. Je pense qu’en voyant ça, le rap a évolué en se disant : "On n’a pas besoin de parler de ces gens-là, alors que l’on a essayé de les courtiser."


Je me souviens encore qu’à certaines élections présidentielles, Ségolène Royal appelait des gens comme Kery James ou Disiz sur scène. Ils y allaient. Maintenant, je pense que ça ne pourrait plus être le cas. Je ne vois pas quel artiste viendrait prendre la position d’un politique… C’est peut-être ça quand on dit que les textes ont changé, c’est vraiment lié à la société, à la bande-son d’une génération.


Et puis, je me dis aussi que ce n’était pas la même chose à l’époque, car pour cinq albums de rap qui sortaient, aujourd’hui, chaque vendredi à minuit, c’est une dizaine d’albums de rap qui sortent, ou en tout cas des dizaines de morceaux. C’est toujours très dur de comparer à une autre époque.


Mais parmi ces dizaines de morceaux qui sortent encore aujourd’hui, on arrive à trouver des textes, de l’écrit et une certaine critique de notre société.


Le monde du rap s’est ouvert au grand public grâce à Franck Gastambide et la sortie de sa série Validé. Est-ce qu’elle est un tremplin pour donner une autre image du rap ou, au contraire, un frein avec la vision des coulisses de cette industrie : drogue, règlements de compte… ?


Fred Musa : Je trouve qu’on a beaucoup critiqué Franck Gastambide, qui a écrit, avec d’autres auteurs, et produit la série Validé. Mais aujourd’hui, il y a un livre qui vient de sortir, L’Empire, qui est une enquête de trois formidables journalistes relatant les dessous du rap. Même s’il ne faut pas tout généraliser, il y a des choses qui existent. Il ne faut pas fermer les yeux sur tout. Beaucoup se sont moqués de Franck, mais finalement, il était proche de la réalité et, quand tu lis le livre, la réalité dépasse la fiction.


Validé reste tout de même une série, donc il y a des choses qui sont grossies, mais il y a aussi une retranscription assez correcte de ce qui se passe dans ce milieu. J’ai eu la chance, sur la première saison, d’être auprès des auteurs et souvent ils venaient me voir pour me demander si c’était crédible. Je me souviens de la scène où Hatik arrive à la radio et on m’a demandé s’il était crédible qu’un rappeur puisse monter à Planète Rap pour venir défier un autre rappeur. Je n’ai pas eu de rappeur venu pour en défier un autre, mais j’ai eu Usky qui est venu dans Planète Rap. Il nous avait appelés d’une cabine téléphonique pour demander s’il pouvait venir rapper dans le studio et, quelques minutes après, il était avec nous.


Je trouve que cette série donne aussi beaucoup de visibilité aux rappeuses. Même si on en parle moins, elles sont de plus en plus présentes.


Fred Musa : Pour moi, l’avenir est au rap féminin. On n’a jamais eu autant d’artistes féminines qui sortent des morceaux. On a beaucoup d’artistes de très haut niveau dans l’équipe féminine.


La France a tendance à mettre les gens dans des cases, sauf justement dans le rap, où l’on ne parle pas des différents styles : Bigflo & Oli, Jul, Damso, Orelsan… Comment se fait-il qu’on ne montre pas davantage les différences entre chaque rappeur, chaque style ?


Fred Musa : Encore une fois, on est très polarisé. Aujourd’hui, soit le rap va être clivant — on va détester, on va considérer que c’est de la sous-culture — et il faut évidemment combattre tout ça ; soit on va dire : « Ce rap-là, c’est ce que j’écoute, c’est ce que j’aime », mais il n’y a peut-être pas encore assez de personnes dans les médias qui expliquent, qui ont un côté pédagogique. C’est ce que j’essaie de faire depuis plus de 30 ans sur ma chaîne radio et, un peu, en TV maintenant avec Planète Rap, la quotidienne sur France 4.


J’ai justement une question sur votre nouveau programme dédié à l’émission, où vous recevez Thomas Goldberg. Une émission qui m’a beaucoup touchée puisque l’acteur, aujourd’hui auteur et rappeur, parle de ses problèmes de santé mentale et ouvre la parole à travers un livre, Promis ça va aller, et un album, Masques. Quelle était pour vous l’importance de cette interview dans Planète Rap ?


Fred Musa : Je me bats depuis de nombreuses années. Et quand je dis que je me bats vraiment, c’est un chemin de croix : on est rarement écouté. Je me bats pour la santé mentale de la jeunesse, et pas que : je me bats aussi pour la santé mentale des personnes qui sont en détention depuis très longtemps. Je fais des ateliers radio en prison. C’est un sujet qui me touche, parce qu’aujourd’hui la politique n’a pas de vision pour les gens dans 10/15 ans. Ils essayent juste de se faire réélire et pensent à moyen, voire à court terme. Tout ça nous a explosé à la figure en 2020, sur la santé mentale, et surtout auprès des jeunes après le COVID.


Je trouve que, dans les années qui ont suivi, on a vu une souffrance terrible chez les jeunes. Je suis content qu’il y ait de plus en plus de voix, d’artistes comme lui, qui en parlent, car il ne faut pas fermer les yeux sur ce qui nous entoure. Mais c’est long d’essayer de faire comprendre les choses : on a besoin d’un maximum de personnes pour en parler.


J’ai l’impression que les rappeurs sont moins dans cette prise de parole pour lutter contre les maladies liées à la santé mentale ?


Fred Musa : Peut-être, ou en tout cas ils le cachent plus, car le rap est aussi touché par des gens qui ont de gros problèmes de santé mentale, de burn-out, et de plein de choses liées à la situation. Mais oui, ce serait bien qu’ils s’emparent du sujet. Ça existe un petit peu : certains artistes en parlent, mais trop peu. On peut espérer que dans l’avenir ce soit une belle mobilisation.


Je sais que vous vous entendez très bien avec Jul. Est-ce que vous pouvez nous raconter une anecdote avec lui ?


Fred Musa : J’ai à chaque fois des anecdotes incroyables avec lui. On a fait des Planète Rap dans le studio parisien, puis dans le studio marseillais, qui est beaucoup plus petit. Ces derniers temps, on les faisait soit dans des vélodromes, soit dans des villas qu’il louait. À chaque fois, j’avais droit à ce qu’il me demande de faire la toupie avec toute son équipe. Ça peut paraître ridicule comme ça, mais avec toute l’ambiance marseillaise, c’est vraiment un moment de détente absolue, surtout quand tu viens de finir une émission — et j’avais droit à ce que les mecs me mettent à la flotte.


Mais pour une anecdote marquante : en 2018, Jul a décidé de délocaliser Planète Rap. On commençait la semaine à Marseille, et on la finissait en Russie, à Moscou, pendant la Coupe du monde de football — mais on n’a vu aucun match (rire).



Il me disait : "Ce serait bien qu’on finisse en Russie, pour ressentir l’ambiance." Il nous a tous emmenés pour faire les deux derniers Planète Rap de la semaine en Russie. Qui dit Russie dit vodka — et on s’est fait un petit concours de vodka. Sauf que j’ai un peu plus carburé qu’eux… et j’ai voulu défier Jul en freestyle dans le bus qui nous ramenait à l’hôtel. Je me suis fait terminer (rire). Je crois qu’il y a quelques vidéos qui circulent, qu’on peut trouver sur le net, mais difficilement. Il y a plein de moments comme ça, plein d’histoires avec Jul : c’est vraiment un bel artiste et, humainement parlant, un mec formidable.


Vous avez 10 secondes pour défendre le rap face à ceux et celles qui ont encore une mauvaise image de cette industrie musicale :


Fred Musa : 10 secondes pour défendre le rap ? Je leur dirais de venir écouter certains textes. Il y a de beaux artistes en ce moment comme Youssef Swatt’s, les séries freestyle de Jul — car certaines personnes ont encore l’image de Jul avec l’autotune. Allez écouter certains textes de ses différents albums. Je vais forcément dépasser les 10 secondes, parce que c’est quelque chose qui me tient à cœur, mais je dirais d’essayer au moins : venez écouter quelques palettes de ces artistes qui sont là, et il y en a tellement ! N’hésitez pas à cliquer : vous trouverez sûrement chaussure à votre pied.

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