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Sabrina Nouchi, réalisatrice : Je pense que les extrémistes tuent les causes

En salles depuis le 27 novembre 2024, Ça arrive libère la parole aux victimes d’agression de sexuelle, mais aussi aux accusés, parfois victimes de faux témoignages. Réalisé par Sabrina Nouchi, elle a voulu donner la voix à tous ceux qui vivent ou ont vécu des situations similaires. Un film poignant, même parfois difficile à regarder, mais qui ne peut que faire réfléchir sur la justice française. PressEyes est allé à la rencontre de cette réalisatrice qui n’a pas eu peur de faire un long-métrage mettant en avant les faits tels qu’ils sont, sans romance, sans artifices, mais seulement dans le vrai. 




Direction Marseille, dans le 1er arrondissement au coeur d’un commissariat que les spectateurs ne quitteront pas pendant près de deux heures. Sabrina Nouchi n’a pas voulu en sortir, pour montrer la réalité de ce que vivent au quotidien ces enquêteurs qui doivent déceler la vérité dans chacun des témoignages. Un huit clos dans lequel on voit défiler les victimes, les accusés avec leur propres arguments, leurs propres visions de la situation… Les spectateurs deviennent peu à peu témoins, réfléchissant à leur tour si oui ou non la victime est victime, si oui ou non l’accusé est un criminel. 


Un film que Sabrina Nouchi a voulu authentique, sans artifices, parfois difficile… Un choix qu’elle nous explique lors de notre rencontre. 


Ça arrive : le combat des enquêteurs pour trouver la vérité



Est-ce que tu peux me parler de la genèse de Ça arrive ? 


C’est un sujet (les violences sexuelles) que je veux traiter depuis que j’ai 22 ans, mais qui n’était pas selon les producteurs assez vendeur. J’en ai toujours un peu parlé dans mes films, mais sans que ce soit le sujet principal. J’ai monté mon école d’acting, qui s’appelle La Fabrique de l’acteur et l’une des actrices de mon film, Emmie Poinsot avait un rôle de composition d’une travailleuse du sexe. Pendant son improvisation, je me suis demandée si cette personne-là avait été violée, est-ce qu’elle serait allée au commissariat pour porter plainte, si elle aurait été prise au sérieux, est-ce qu’on la traiterait comme une victime de viol, car le sexe fait partie de son métier, normalement consenti. 


Un film que tu as écrit avec Catherine Sorolla, comment s’est déroulé le processus de co-écriture ? 


J’ai appelé Catherine en lui disant que je voulais faire ce film. On s’est pris quatre jours dans un AIRBNB, pour choisir les histoires dont on voulait parler. Au début il y en avait beaucoup trop, on a dû choisir. En quatre jours, on a monté toute la structure, toutes les scènes et après on a dû prendre un après-midi pour s’envoyer des scènes que l’on avait écrites toutes les deux de notre côté. 


Pour écrire ces histoires, vous vous êtes inspirées de gens que vous connaissez, de témoignages que vous avez entendu ? 


En grande majorité, on pense que ce sont des histoires que l’on a imaginés en tant que scénaristes. Mais on se rend très vite compte que c’est toujours l’histoire de quelqu’un et je pense qu’inconsciemment, on entend tellement d’histoires tous les jours, que même si on les avait inventés, elles sont devenues vraies dans notre esprit. Puis, malheureusement, je ne connais pas une personne qui n’a pas été victime, que ce soit femmes ou hommes. 


Pour le casting, tu as fait appel à tes acteurs de ton école La Fabrique des acteurs, pourquoi ce choix ? 


Parce qu’ils méritent de tourner. Ils sont très méritants, très professionnels et surtout ils sont formés par moi, donc ils connaissent ma sensibilité et je connais la leur. Il fallait aller vite et je les avais formés à être bons de suite sur les premières prises. Je savais qu’il seraient parfaits. 




Est-ce qu’il y a certaines histoires qui ont été plus difficiles à écrire que d’autres ou à tourner ? 


Il n’y a pas eu de difficultés en écriture, ni sur le tournage. Mes acteurs sont des acteurs, ça se joue entre action et coupé et le sujet étant tellement lourd, tout le monde avait besoin de rigoler au coupé et faire autre chose. On avait conscience de ce que l’on racontait, de la gravité des faits. La vie est nuancée, tout n’est pas noir, tout n’est pas blanc, on a les mécaniques de défenses que l’on a et on les a utilisés. 


Tu as choisi de tourner le film en huis clos, est-ce que c’était une façon de souligner la complexité des situations ? 


Le huis clos a été volontaire, pour que les gens n’aient pas le luxe de sortir. On a fait ce film pour que les gens suffoquent un petit peu, pour montrer que l’empathie est là que les trois/quatre premières scènes et puis d’un coup, on s’extrait de l’empathie et on arrive à la réflexion. C’est ça que l’on voulait, que l’on arrête d’être dans l’émotionnel pour juger et réfléchir avec les faits énoncés. C’est une manière de se rendre compte que deux secondes avant, on croyait les versions des victimes, puis, on tombe sur une personne mise en cause où on ne sait pas vraiment si elle est coupable ou pas. C’était pour montrer qu’il y a des situations qui ne sont pas du tout évidentes. 


Par rapport aux victimes ou non finalement, comment vous avez pensé la place de la femme et de l’homme ? 


On a essayé de faire un film nuancé, humaniste. On n’a pas réfléchi à la position de l’homme ou de la femme, mais à la position de la vérité. La vérité elle est propre à chacun. Chaque personne qui met un pied dans ce commissariat, vient avec sa propre vérité, sa propre perception et son propre prisme. Et ça, ça ne se juge pas. Ce ne sont que les faits qui vont déterminer s’il y a un coupable, s’il y a une victime… dans les hommes que l’on dépeint, il y a des coupables, il y a des gens comme ce jeune avec cette fille qui avaient prévu ce jeu sadomasochiste : il est difficile de savoir à quel moment ça ne devient plus un jeu, avec ces deux personnes en vulnérabilité d’alcool et de drogue. Et on ne saura jamais s’il y a eu viol ou pas, car dans leur vérité, ils ont raison tous les deux et c’est ça qui est pénible. Puis, il y a des hommes qui sont non coupables et qui sont accusés à tort. Et c’est une réalité, une réalité qui dessert les vraies victimes. Je ne suis pas extrémiste, car je pense que les extrémistes tuent les causes, donc j’essaie de rester juste. 


On va parler de la scène finale que l’on ne va pas spoiler… mais est-ce qu’elle a été compliquée à tourner ? 


En terme de tournage, il y a tellement d’artifice autour que non. C’est plus au montage où ça été difficile de la voir et même en l’écrivant peut-être. J’aime beaucoup cette scène, car elle montre un certain désespoir quand la justice nous laisse tomber. Malheureusement, là où souvent on dit que la police ne fait pas son travail, je trouve que c’est plutôt la justice qui n’applique pas les peines qu’elle devrait. Pour moi le problème est plus là. 


Au-delà des agressions sexuelles, quel est le message du film que tu aimerais faire passer aux victimes et aux accusés ? 


Mon message adressé aux victimes est dans le film dressé dans plusieurs tableaux. 

Souvent, dans l’inconscient collectif on attend une réaction : tu as été violé, donc tu es au bout de ta vie, tu ne pourras plus te reconstruire, c’est terminé … et je trouve qu’il y a toute une population résiliente qui ne se reconnaît pas la dedans. J’ai voulu montrer que l’on était tous différents : c’est ok d’être à la fois complètement flingué par cette histoire, que ça devienne ton identité, que tu n’arrives pas à passer au-delà. Tout comme c’est la vie et on avance. 



Pour les mises en cause, c’est plus compliqué car il y a différentes psychologies dans ces gens-là. Je ne sais pas si ça les fera tous réfléchir. Quand tu es vraiment un pervers sexuel et que c’est une maladie, on ne peut rien faire pour toi, on ne peut pas te soigner, car c’est des pulsions. 


En revanche, il y a parmi eux des âmes à sauver, qui peuvent se rendre compte du mal qu’elles ont fait. Je pense à Latifa Bennari qui a été abusée dans son enfance et qui a créé une association pour écouter les pédophiles et les empêcher de passer à l’acte. J’ai vu un reportage la-dessus, où un père de famille avait envie de violer sa fille de deux ans. Avant de passer à l’acte, il a quitté sa femme et sa fille pour ne jamais leur faire de mal. Je me dis que ceux-là, on peut encore les sauver. Et pour tout ceux qui sont victimes d’injustices, je leur dis qu’on les écoute. Ce n’est pas parce que vous êtes accusés que vous êtes forcément coupables. 


Je te crois systématique est dangereux, je t’écoute et je prends au sérieux ce que tu dis, c’est beaucoup plus nuancé et beaucoup plus en la faveur des victimes et des mises en cause. 


Un film engagé, avec une vision féministe, mais avec une grande justesse de parité entre le femmes et les hommes, les victimes et les accusés. 

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